Edwin Thumboo (1933 -), poète singapourien
L'Exilé
Il n'était pas fait pour la politique,
pour les changements de principes,
les jours malheureux, le grand sacrifice.
Même un petit rôle dans une tragédie
semblait plus qu'improbable.
Il y avait en lui un calme sourire confucéen.
Une trajectoire appropriée eût été une
place dans la Banque Familiale,
consolidée par une union soigneuse,
un gain notable dans la fortune familiale,
un renforcement du Clan.
Une vie ordinaire, une longévité ordinaire.
A ces choses là son père rêvait tristement.
Il n'était pas fait pour la politique,
mais cette époque là était en fer forgée de Chine,
incertaine en loyautés, pleine de la quête d'une
âme, d'une fierté
de l'agonie ancestrale, de la politique de la cannonière,
du divorce de la nation,
du désastre du Guomindang.
Alors les hommes nouveaux l'emmenèrent
à des cellules, des réunions, des oraisons passionnées,
lui donnèrent une cause.
Travailler sans faire de bruit, multiplier les cellules,
préparer le terrain pour l'éclosion des cents fleurs.
Les fleurs éclorent, fanèrent vite aussi.
Démasqué par les principes
et la discipline de groupe,
il croyait tenir ferme, défier la loi.
Réactionnaires, disait-il.
Alors il se tint debout au banc des accusés.
On lut de nombreux documents. Ceux qui préparaient la
manifestation, la répartition des tâches
s'étaient enfuis pour se battre un autre jour - ils avaient des choses importantes à règler,
ne pouvaient pas être épargnés, on avait besoin d'eux pour organiser
plus de manifestations.
De manière impersonnelle, le verdict fut
l'exil vers la mère patrie,
une nouvelle réalité.
Il pâlit, sans courage, n'étant pas fait pour la politique.
traduit de l'anglais par E. Dupas