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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 01:56

 

 garret-hongo.jpg

 

Garrett Hongo (1951-), poète hawaïen

 

Légende

 

à la mémoire de Jay Kashiwamura

 

Il neige doucement sur Chicago

et un homme vient de faire sa lessive de la semaine.

Il entre dans le crépuscule du début de soirée,

portant un sac de courses froissé

rempli de vêtements impeccablement pliés,

et, un bref instant, il savoure

la sensation du linge chaud et du papier plissé

comme de la flanelle contre ses mains sans gants.

Il y a un rougoiement à la Rembrandt sur son visage,

un triangle d'orange dans le creux de sa joue

alors qu'un dernier rayon du soleil couchant

enflamme les vitrines et les devantures dans la rue.

 

Il est asiatique, thaï, ou vietnamien,

et très maigre, habillé comme les pauvres

en pantalon de costume froissé avec un plaid mackinckaw à carreaux

terne et trop grand.

Il négocie une flaque de glace

sur le trotttoir près de sa voiture,

ouvre la portière arrière de sa Fairlane,

se penche pour poser le linge à l'intérieur, 

et se tourne, rien qu'un instant,

vers le tourbillon des pas

et des cris des piétons,

tandis qu'un garçon - c'est tout ce qu'il était -

recule au coin du magasin de depôt

en tirant de son pistolet, et fait feu,

une fois, sur l'homme éberlué

qui tombe en avant,

la main crispée sur la poitrine.

 

Quelques sons s'échappent de sa bouche,

un babillage que personne ne comprend

tandis que les gens s'approchent en cercle,

déconcertés par son discours.

Les bruits qu'il fait ne sont rien pour eux.

Le garçon est parti, perdu

dans le tableau léger du trafic piétonnier,

en tachetant la neige de fraîches empreintes.

 

Ce soir, j'ai lu que Descartes avait eu le grand courage

de douter de tout, sauf de sa propre et miraculeuse existence,

et je me sens si distinct

de l'homme blessé étendu sur le béton

que j'ai honte

 

Que le ciel nocturne le recouvre tandis qu'il meurt.

Que la dame tisseuse traverse le pont céleste

et hisse les mains froides du malheureux jusqu'à elle.

 

 

traduit de l'américain par E. Dupas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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