Gioconda Belli (1948-)
Petites leçons d'érotisme
I
Parcourir un corps à la voile déployée
c'est faire le tour du monde
traverser sans boussole la rose des vents
îles golfes péninsules digues d'eaux enragées
ce n'est pas tâche aisée -si plaisante soit elle -
ne crois pas le faire en un jour ou une nuit de draps épanchés
il y a assez de secrets dans les pores pour emplir bien des lunes
II
Le corps est une carte astrale en langue chiffrée
Tu trouves un astre et peut être devras tu commencer
par corriger le cap quand nuage tornade ou hurlement
profond
te donnent des tresaillements
le bol de la main qui ne se soupçonne pas
III
de nombreuses fois reviens sur une étendue
trouve le lac des nénuphars
caresse avec ton ancre le centre de l'iris
immerges toi sombres détends toi
ne nies pas l'odeur le sel le sucre
les vents profonds cumulo-nimbus des poumons
brouillard dans le cerveau
tremblement des jambes
raz de marée assoupi des baisers
IV
Installes toi dans l'humus sans crainte de l'usure, sans hâte
tu ne veux pas atteindre la cime
retarde la porte du paradis
berce ton ange déchu bouleverse l'épaisse chevelure avec
l'épée de feu usurpée
mords la pomme
V
Sens
souffres
de la salive des regards imprègnes toi
fais un tour imprime de sanglots la peau qui se glisse
pied découvert à la fin de la jambe
poursuis le cherche le passage secret du pas forme du talon
arc de la marche baies formant le cheminement arqué
goûtes les
VI
Ecoute la conque de l'oreille
comme gémit l'humidité
lobe qui s'approche de la lèvre son de la respiration
pores qui se lèvent dressant des petites montagnes
sensation frissonnante de peau qui s'insurge au toucher
suave pont de la nuque descend à la mer poitrine
marée du coeur chuchotement
trouve la grotte de l'eau
VII
traverse la Terre de Feu le Cap de Bonne Espérance
navigue fou à la jonction des océans
croise le fer avec les algues armes toi de coraux hulule gémis
émerge avec le rameau d'olivier pleure en sapant les tendresses occultes
dénude les regards de surprise
plonge le sextant depuis le haut du cil
arque les sourcils ouvre les baies de la narine
VIII
aspire soupire
meurs un peu
doux lentement meurs
agonise contre la pupille étend la jouissance
double le mât gonfle les voiles
navigue et cingle devers Venus
étoile du matin
-la mer comme un vaste cristal étamé
endors toi fais naufrage
traduit de l'espagnol par E. Dupas