Koulsy Lamko (1959 -), poète tchadien
N'Djamena
Cette putain de ville
qui ne sait pas taire les batifolements de ceux qui forniquent
cette ville de lépreux aux doigts gourds
cette ville de mensonges où l'on tue les lapins
qui traversent la rivière pour un paquet de sucre
Ville four pour cuire le cuir de l'hippopotame
quand soufflent les alizées de l'aride désert
mars avril mai juin
cette ville qui s'accroche entièrement à l'oeil, à la gueule, à la narine
Ville poussière
aux rues en damier, jonchées de sacs plastiques noirs
ici devant l'Hôtel de ville
au milieu des immenses piles de détritus de boîtes de poubelles
s'échangent les alliances de fiançailles
Ville bourbier de saisons des pluies, ville lacustre
inondée par la moindre goutte de pluie
on n'a plus pied dans l'eau
dans les maisons de pisé et les occupants
de porter leurs mocassins sur le crâne
pour la traversées des rues-ruisseaux
et d'appuyer leurs pantalons sur les monticules
avant de revenir s'immerger dans le tumulte du Béguinage
Grosses mouches vertes, araignées
sauterelles tristes en désordre,
préservation de la faune; de la nature;
de l'éco-système;
Beauté réservée, pour finir à l'Unesco
en manière de patrimoine mondial de l'humanité
ici l'on sait conserver l'héritage néolithique
Toumaï est des nôtres
je sens les scarabées rampants gavés de bouse
à la parade nuptiale de l'hippodrome
qui s'en retournent à califourchon dans leur tombe
transportant, agitant les victuailles en boules rondes
la nourriture d'années de défécation
un grande et lourd cathéter noir
enroulé dans sa viscosité
l'énorme pâte de mil rouge
ici les jardins sont des latrines
Ville carnivore et sangsue
l'adolescence voyage jusqu'à la dissolution
voleuse, la joue balafrée
on se déchire les nerfs, la chair
pour se faire bandit
et les coyotes ingénus sous les couvercles de poubelle
fouillent pour trouver des morceaux de chair rebelle
se raccroche à l'os de poulet mastiqué
les chiens ont le museau si faible
que le plus petit tibia est trop lourd à porter
Et pendant que se noient les hommes -
mouche perdue dans les vapeurs d'alambic
la conscience dans la pâte de manioc
se nourrit de cyanure en intraveineuse
On me dit qu'ici l'on se repose
mais je ne peux pas croire que le suicide est un destin
De quoi se repose-t-on dans une telle désolation ?
Ne pouvions nous plus continuer de marcher ?
Il vaut mieux faire quelques pas de plus
qu'être né fatigué, épuisé et exténué
pour dire qu'ici c'est : N'Djamena !
la Dernière station fatale !
traduit de l'adaptation espagnole d'Araceli Zuleta Zarco par E. Dupas