Le Prince évêque
Ne croyez pas un mot de ce que vous intime le visible. La Cathédrale Notre Dame et Saint
Lambert n’a jamais été mise à sac par les révolutionnaires liégeois de la fin du 18ème siècle, la Cathédrale Saint
Lambert n’a jamais été détruite, elle n’est pas ce ramassis de fondations mortes, elle n’est pas
cette grande absente de l'actuelle Place Saint Lambert où, pour imbiber vos yeux de mensonge, sont
plantés ces ridicules ersatz de colonnes en fer censées en figurer abstraitement la nef antique.
La Cathédrale Saint Lambert est demeurée intacte, elle est toujours présente. Pour être à son aise, elle a
simplement choisi de demeurer invisible aux moyennes gens qui ont par trop péché, voilà tout. Seule une poignée
élitaire de doctes ou de mystiques sait qu’elle est toujours dressée là sur la place, démesurément
vaste, majestueuse dans sa roideur gothique et que pointe toujours vers le ciel son orgueilleux double clocher.
Quant au Prince évêque de Liège, qui réside toujours en son Palais, c’est un fils de putain cent fois avéré.
Sa génitrice, dame Ignardie, était déjà si garce et si putassière que les pires arrivistes eux mêmes ne se
risquèrent jamais tenter la duper ou la pénétrer (et quel homme sensé serait allé risquer son appendice dans ses
lèvres ointes de curare et son vagin semblable à une insondable bouche de lamproie).
Le gueux d’Outre-Meuse ordinaire vous dirait qu’elle maniait (en sa prime jeunesse) son cul à la façon d'une épée
lubrique, et qu’elle y fit passer bien des hommes par le fil dans la région, mais le sujet essentiel demeure ici le
prince...
Fils de putain dans les faits, Le Prince l'est encore plus véritablement dans le comportement. Batifolant dans le luxe
le plus obscène pendant que le petit peuple liégeois crevote dans des labyrinthes de bouges foisonnants
d'immondices, il ne prend jamais si grand plaisir qu'à se faire promener dans son carrosse pailleté d’or fin par
ces ruelles sombres où les enfants malades, les femelles hâves, les travailleurs cholériques, les ribotes et les
ivrognes errent et vomissent comme des damnés; toujours ceint d'une invincible garde de chevaliers teutoniques,
le prince évèque jubile de ces spectaculaires misères à la fenêtre du carrosse et s'empiffre ostensiblement de tartes
au riz, de rôtis de sangliers, de boulettes de boeuf et de gauffres chocolatées sous les yeux des miséreux, ne leur
en concédant pas une seule miette....
Et le peuple Liégeois, bien au fait que ce Prince Promeneur provocateur n’est
autre que le Diable, le peuple liégeois encaisse, tolère et supporte sans mot dire, année après année, comme le
Christ supporta exemplairement les épreuves dans sa traversée du désert. Car tous savent qu’un jour ils seront
délivrés du Prince Evêque, et qu'alors la Cathédrale daignera ré-apparaître à tous.