Octavio Paz (1914-1998)
L'Absent
I
Dieu insatiable que mon insomnie alimente;
Dieu desséché qui rafraîchis ta soif éternelle dans mes larmes,
Dieu vide qui frappes mon sein avec un poing de pierre, avec un poing de fumée,
Dieu qui m’abandonnes,
Dieu désert, rocher que ma prière baigne,
Dieu qui au silence de l’homme qui interroge réponds par un silence plus grand encore,
Dieu sec, Dieu du néant, mon Dieu :
Un Sang, ton sang, le sang me guide.
Le sang de la terre,
Celui des animaux et celui du végétal somnolent,
Le sang pétrifié des minéraux, celui du feu qui sommeille dans la terre,
Ton sang,
Celui du vin frénétique qui chante au printemps,
Dieu svelte et solaire,
Dieu de résurrection,
Etoile ardente,
Flûte insomnieuse qui élève son doux appel entre les ombres chues,
Oh Dieu qui dans les fêtes convoque les femmes délirantes
Et fais danser leurs ventres planétaires et leurs fesses sauvages,
Les seins immobiles et électriques,
Traversant l’univers affolé et nu,
Et l’extension desséchée de la nuit effondrée.
Un Sang,
Sang qui toujours te souilles avec des splendeurs barbares,
Le sang versé la nuit du sacrifice,
Celui des innocents et celui des impies,
Celui de tes ennemis et celui de tes justes,
Ton sang, celui de ton sacrifice.
II
Par toi je m’élève, descends,
A travers ma lignée,
Jusqu’au puits de poussière
Où ma semence disparaît en d’autres,
Plus anciens, sans nom,
Fleuves aveugles sur des plaines de cendres.
Je t’ai cherché, je te cherche,
Dans la veille aride, coccinelle de la raison giratoire;
Dans les rêves emplis de présages équivoques,
Et dans les noirs torrents que le délire libère :
La pensée est une épée
Qui illumine et détruit
Et après l’éclair il n’y a plus rien,
Sinon une course pour l’infini
Et se retrouver soi même face au mur.
Je t’ai cherché, je te cherche,
Dans la colère pure des désespérés,
Là où les hommes s’unissent pour mourir sans toi,
Entre une malédiction et une fleur décapitée.
Non, tu n’étais pas dans ce visage brisé en mille visages égaux.
Je t’ai cherché, je te cherche,
Parmi les restes de la nuit en ruine,
Dans les dépouilles de la lumière qui déserte,
Dans l’enfant mendiant sur l’asphalte qui rêve de sables et de vagues,
Auprès des chiens nocturnes,
Visages de nuage et balafre,
Et pas déserts de talons somnambules.
En moi, je te cherche;
es tu mon visage au moment de s’effacer, mon nom qui, étant dit, se disperse, es tu mon évanouissement ?
III
Parole de la genèse,
Genèse sans parole,
Pierre et terre, cortège,
Verdeur soudaine,
Feu qui ne s’essouffle pas,
Eau qui brille dans une caverne :
Tu n’existes pas, mais tu vis,
Dans notre angoisse tu résides,
Au fond vide de l’instant
-oh ennui-,
Dans le travail et la sueur, son fruit,
Dans le rêve qui engendre et le mur qui interdit.
Dieu vide, Dieu sourd, Mon Dieu,
Larme nôtre, blasphème,
Parole et silence de l’homme,
Signe des pleurs, chiffre de sang,
Forme terrible du néant,
Araignée de la peur,
Revers du temps,
Grâce du monde, secret indicible,
Montre ta face qui annihile,
Que j'aille à la poussière, au feu impur.
traduit de l'espagnol par E. Dupas