Pedro Shimose (1940-), poète bolivien
Les caméléons envahissent les cathédrales
Ils conçoivent la vie comme une partie d'échecs.
L'existence est un calcul. Ils ne dorment pas; ils n'aiment pas.
Ils sont nés avec le coeur souillé, sans lueur dans le regard,
et ils vivent à l'affût, welcome mister, congratulations !
et ils vivent hantés par la couleur des circonstances.
Ils abondent en astuce, savent choisir le moment opportun,
les paroles adéquates, le ton qui convient, le geste précis,
ils flattent, mentent, se déprécient, étudient, apparaissent,
cherchent l'éclat des caméras, la stridence
le flash sourit flash pose flash
splendeur de l'éphèmère "okey" ! ils montent des échelles, vont sur les branches,
cherchent les paillettes de la renommée, lisent les rapports confidentiels,
sourient, s'habillent à la mode,
cherchent leurs noms dans les chroniques sociales,
courent, reniflent l'air, font les beaux pour les cadeaux,
écrivent dans les journaux, avancent, reculent, sourient,
sont discrets,
sollicitent des audiences, donnent des conseils, ajustent leur cible,
tirent, vont à la messe, sont comme les chats, saluent, donnent la main,
retombent toujours sur leurs pattes, parlent d'une voix claire, ehem, ils la posent, la modulent,
pensent deux, cent, mille fois, ne dorment pas, comme les hiboux, ils pensent,
ils vivent tapis dans la couleur, dans des cathédrales sombres et vides.
Sur leur chemin s'ouvrent les grandes portes du néant.
traduit de l'espagnol par E. Dupas