Tom Creule
Ni papou ni blanc ni peul
il avait pour nom Tom Creule
C'est dans la lugubre flandre
qu'il apparut sans esclandre
une ferme méphitique
aux pâtures grouillantes de tiques
où de vieux ânes malades
chiquaient de noires salades
et devers le crépuscule
un coq hurlait, ridicule,
sur une mer de renoncules.
Né un soir de lune grasse
d'un ragondin d'une paillasse
il fut craché sur la terre
par la veuve Creule-Winter
Tom portait une gueule torve
dévidant toujours la morve
les pieds petits le bras maigre
la panse fine et l'oeil aigre
il semblait un épinoch'
au corps constellé de cloques
éduqué à coup de bâton
il écorchait les chatons.
La veuve s'offrait aux gaillards
qui labouraient ses hectares
en à peine quelques années
elle mit bas une farfalée
de blondinets bien gueulards
aux yeux bleus, au large lard
ils engrossèrent les voisines
et disparurent à Malines
elle laissa soin aux cochons
aux poules aux chiens aux dindons
d'apprendre à Tom "son mal chié"
à se tenir, s'essuyer.
Grandit opiniâtrement
entre bouse et firmament
Par les paysans roué
car à rien n'était doué
le ciel bleu était cloué
dans le fond de son brouet
des kobolds facétieux
croyant Tom le fils des cieux
nagèrent avec lui aux mares
cerclées de saules tétârds
puis une vieille mégère
qui logeait près d'une rivière
lui apprit comment d'un gant
on assèche les watergangs
lui apprit la sorcellerie
rudiments de satanerie
à même pas 19 hivers
Tom tourna assez pervers
pour se dévouer au mal
comme un fou pris de haut-mal
Tom décapita les vierges
de pierre, brûla les cierges
des chapelles environnantes
des bigottes toutes tremblantes
alertèrent les curés
qui faisaient autorité
des villages entiers colère
sur la ferme déferlèrent
on pendit la veuve Winter
fit de la ferme un cratère
mais nul ne trouva la gueule
du jeune démon Tom Creule
Tom incendia les récoltes
incita à la révolte
mit toutes les églises à sac
dépeça des moines en vrac
puis il monta à la ville
Louvain, Ath, Philippeville
fonda une guilde de gueux
qui abjurèrent tous Dieu
On raconte qu'au port d'Ostende
Tom vendait aux riches flamandes
des fioles de mécréance
et acquit fortune immense
Puis Tom vira armateur
il racheta un flotteur
dont la hune toisait le jour
tous les bateaux alentours
Tom quitta les rives belges
et vogua sur les flots beiges
jusqu'à Setubal; à Sfax,
trafiqua des cornes d'addax;
puis dériva vers Oman
où il se fit musulman
erra cent Jours à Mascate
hagard, à mâcher le qat
puis Tom fut pirate d'Afrique
à l'équipage en colique
soumis à son fouet glacial
servit au boutre royal
vola un bateau trésor
à Zheng He le Ming d'or
rebaptisé Tom-Rashad
il s'installa à Bagdad
pour s'improviser Marchand
de limettes, khandjars méchants
puis aux guerres de Kirghizie
il s'illustra en Ghazi
et au bassin du Tarim
mendia son pain pour des rimes
roit'let du Karakoram
il eut un empire de femmes
il bradait des odalisques
aux culs marqués de marisques
contre résine de lentisques
et soumises damalisques
que lui trouvaient des éleveurs
qui devenaient ses serviteurs
blasé de cette course absurde
Tom épousa une jeune kurde
disparut dans les montagnes
du Pamir, avec un pagne...
Nul ne sait ce qu'il devint
mais un abbé angevin
missionné en terres de Chine
vit un jour dans la vitrine
d'une singulière boutique
le sourire satanique
d'une figurine de Nok
c'était Tom Creule "l'épinoch"
il était mort sans esclandre
loin de sa lugubre flandre
aux pieds du bouddha Leshan
car Tom voulait se faire moine...