Une vie
"Ah, l'intolérable condition humaine..."
"Pas déjà l'existence !"
s'écrie la boulette
que Dieu a tiré de la boue du néant
puis placé dans le ventre d'une femme
"je m'étais à peine habitué au néant !"
"Pas déjà croître!"
s'écrie le foetus, pur téteur de confort,
qui ne se rend pas compte
qu'il mange son pain blanc
qui n'est déjà plus que miettes
"je m'étais à peine habitué d'être boulette !"
"Pas déjà la vie !"
s'écrie le nouveau né
dont les poumons sont violés par l'air
et qui s'accroche à la mamelle
comme l'escaladeur à une corniche
"je m'étais à peine habitué d'être foetus !"
"Pas déjà l'enfance !"
s'écrie l'enfant sans conséquence
qui ne sait pas encore
les mille bâts qui l'attendent
alors que son dos grandit
"je m'étais à peine habitué d'être nouveau né !"
"Pas déjà garçon !"
s'écrie le garçon
dont le visage et le pénis se précisent
qui voit plus clair dans le jeu des hommes
qui pressent qu'il voudra enfanter
et qu'il y aura un terme à l'aventure
"je m'étais à peine habitué d'être un enfant !"
"Pas déjà homme !"
s'écrie l'homme
menotté à l'étude, menotté au labeur
au foyer ou à la solitude
ou au foyer et à la solitude
"je m'étais à peine habitué d'être garçon" !
"Pas déjà père !"
s'écrie le père qui tient
dans ses larges paumes
le petit d'être qui sera amené
à le pousser dans la tombe
"je m'étais à peine habitué d'être homme" !
"Pas déjà vieux !"
s'écrie le vieux dont la tempe
fleurit
et à qui la mort sourit doucement
dans le miroir, quand il cherche du sens
"je m'étais à peine habitué d'être père !"
"pas déjà sénile !"
oublie le vieillard sénile
claquemuré dans la cellule
de la prison des vieux parias
à qui une nourrice lasse donne le biberon
"je m'étais à peine habitué.. d'être quoi déjà ?"
"pas déjà os !"
s'écrie le cadavre
cependant que des mottes de terre
rebondissent contre son cercueil
et que la meute des asticots s'apprête à la besogne
tout cela est passé en un souffle
c'était merveilleux, c'était dégueulasse
"je m'étais à peine habitué de vivre...."