Viriato Clemente Da Cruz (1928-1976), poète angolais
Cour (Namoro)
Je lui ai envoyé une lettre au papier parfumé,
et de ma plus belle écriture je lui ai dit qu'elle avait
un sourire lumineux si chaleureux et gai
comme le soleil de novembre jouant à l'artiste dans les acacias fleuris,
propageant des diamants sur les franges de la mer
et donnant chaleur au jus des mangues
que sa douce peau - était du kapok*...
que sa douce peau - avait la couleur du jambosier*, parfumée aux roses
si ferme et si douce - comme le maboque*
que ses seins étaient des oranges - des oranges du Loje*
ses dents - de l'ivoire...
Je lui ai envoyé cette lettre et elle a dit non.
Je lui ai envoyé une carte
que l'ami Maninho avait typographié :
"Mon coeur souffre pour toi"
dans un chant - Oui, dans l'autre - Non
et elle n'a pas adoucit son chant.
J'ai envoyé un message à Joseph le septième
en demandant, en suppliant à genoux,
par Notre Dame du Cap, par Sainte Iphigénie,
qu'il me donne la joie de son amour...
Mais elle a dit non.
J'ai envoyé à Grand mère Chica, sorcière de renom,
le sable de l'empreinte que son pied avait laissé
pour qu'elle lui jette un sort puissant et sûr,
et qu'un amour aussi fort que le mien naisse en elle...
et le sort a échoué.
Je l'ai attendu l'après midi, à l'entrée de l'usine,
je lui ai donné un collier, un anneau et une broche,
je lui ai payé des bonbons sur le trottoir de la Mission,
nous sommes restés dans une banque de la place de la Statue,
j'ai touché ses mains... Je lui ai parlé d'amour... Et elle m'a dit non.
Je marchais hirsute, sale et sans chaussures,
comme un monangamba.
On me cherchait :
"- N'as tu pas vu (ai, n'as tu pas vu ?), n'as tu pas vu Benjamim ?"
et on m'a retrouvé perdu dans un bidonville de Samba*.
Pour me distraire
on m'a emmené au bal de la Saint Janvier
mais elle y était, dans un coin à rire,
racontant mon malheur
aux plus belles filles du quartier des travailleurs.
On a joué une rumba - j'ai dansé avec elle
et dans un pas fou nous avons volé dans la salle
comme une étoile striant le ciel !
et la bande s'est écriée : " Ai, Benjamim !"
je l'ai regardé dans les yeux -elle m'a sourit
je lui ai demandé un baiser - et elle m'a dit oui.
traduit du portugais par E. Dupas et Cassio Duarte.
Lexique :
*kapok : fibre végétale que l'on tire de fruits de plusieurs arbres de la famille des Bombacaceae
*jambosier : Le jamrosat (Syzygium jambos), ou jambrosade, jambosier, jam-rose, pomme rose est un arbre de la famille des Myrtacées.
*maboque : fruit du Maboqueiro, ou Strychnos spinosa, communément appellés "orange de singe".
*Loje : cours d'eau de l'Angola.
*Samba : une des municipalités de Luanda, capitale de l'Angola.