Octavio Paz (1914-1998)
"L'homme est un être qui sait sourire.."
Un des poids lourds de la poésie du XXème siècle, le mexicain Octavio Paz compte parmi les plus importants écrivains de l'histoire de l''amérique latine, au même titre que Jorge Borges, Gabriel Garcia Marquez ou Pablo Neruda. Poète, essayiste, traducteur et diplomate au long cours, il se vit décerner le Prix Nobel de Littérature en 1990.
Sa poésie protéïforme, échappant à tout enfermement formel ou théorique fut le fruit de toutes les rencontres, de toutes les ressources littéraires historiques et contemporaines (surréalisme, dadaïsme, symbolisme, poésie japonaise, mythologies aztèque, hindoue, et grecque) que Paz sut mobiliser et assimiler dans son écriture; poésie au lyrisme majestueux et souple, riche en expérimentations et emplie du souffle d'un homme engagé de plain pied dans le vingtième siècle. Car, comme Paz aimait à le souligner, la véritable biographie d'un ecrivain, c'est son oeuvre.
Petit fils d'un des précurseurs du mouvement indigéniste mexicain et fils d'un avocat libéral conseiller du révolutionnaire Zapata, Octavio Paz nait en 1914, alors que la révolution mexicaine fait rage; après quelques années d'enfance aux Etats Unis, il grandit au Mexique et fait ses humanités au Centre Universitaire de la capitale; versé dans la littérature depuis le plus jeune âge grâce à l'héritage paternel, Octavio Paz trouve dans la poésie une planche de salut : il s'abreuve d'auteurs européens (Machado, Saint John Perse Gimenez) et publie son premier recueil (Lune Sylvestre) à 19 ans à peine. Dès les années 30, Paz est déjà perçu comme l'un des plus prometteurs poètes mexicains.
En 1937, Paz boucle ses études de droit suivies à l'Université Autonome Nationale de Mexico et part en mission éducative au Yucatan, région agricole aride et malheureuse où le paysan mexicain ploie sous le faix de l'exploitation. Il tirera de cette expérience le somptueux poème "Entre la Pierre et la Fleur (1941), qui part d'une description picturale et anthropologique du Yucatan pour aboutir à une profonde refléxion poétique sur la valeur du Travail et le pouvoir d'anéantissement de l'Argent et du capitalisme.
Quelques mois plus tard, il est invité en Espagne en qualité de membre de la délégation mexicaine du congrès antifasciste au plus fort de la guerre civile. Paz prend position en faveur des républicains et sera fortement influencé par le climat intellectuel et idéologique de l'époque. Mais son sentiment de solidarité avec la cause républicaine et plus généralement communiste est ébranlé lorsqu'il assiste à la répression des militants du parti ouvrier d'unification marxiste de catalogne par les forces républicains. C'est le début d'un désenchantement pour Paz, qui l'aménera à s'éloigner de de plus en plus du marxisme et à dénoncer les crimes du stalinisme dès 1951.
Revenu au Mexique en 1938, il épouse l'écrivaine Elena Garro (femme avec qui il vivra près de 20 ans (1938-1959) et fonde la revue "Taller" qu'il alimente jusque 1941, avant de partir pour de nouvelles études à l'Université de Berkeley en Californie, financées par une bourse Guggenheim. Deux ans plus tard, Octavio Paz commence à travailler comme diplomate pour l'Etat mexicain : il est envoyé en France, où il restera jusque 1951, le temps de faire la rencontre des écrivains surréalistes (André Breton et surtout Benjamin Péret, qui traduisit en français les 584 vers du plus grand monument poétique de Paz, la "Pierre de Soleil") dont les travaux et les idées l'influenceront profondément. La période est féconde : Paz collabore à la revue Esprit, publie son chef d'oeuvre "Liberté sur Parole" et le Labyrinthe de la Solitude.
De janvier à mars 1952, Paz est affecté à l'ambassade mexicaine de l'Inde, puis au Japon. Intrigué par un univers culturel auquel il était étranger, il s'essaiera au haïku, réussisant à marier la forme poétique la plus laconique du monde avec la mythologie aztèque (A Uxmal). Il retourne à Mexico en 1953 pour diriger l'Officine des Organismes internationaux du secrétariat des affaires etrangères.
En 1954, Paz participe à la fondation de la Revue Mexicaine de Littérature, animé par l'idée de créer une troisième voie politique équidistante du marxisme et du conservatisme. Il retourne cependant à Paris en 1959, puis est désigné ambassadeur du Mexique en Inde deux années plus tard. En 1964, il fait la rencontre de la française Marie José Tramini qu'il épousera. 1968 est une année capitale pour Paz : alors qu'il est à New Delhi, il apprend la nouvelle du massacre de Tlatelolco qui met fin au mouvement social qui agitait la ville de Mexico depuis octobre. Ecoeuré par cet écrasement auquel succèdent d'hypocrites jeux olympiques, le poète ambassadeur démissionne de son poste et désavoue le gouvernement opresseur de Gustavo Diaz Ordaz..
Il travaillera par la suite dans l'enseignement, invité par les universités américaines du Texas, d'Austin, Pittsburgh, Pennsylvania, et Harvard. Trois ans plus tard en octobre 1971, sous la présidence de Luis Echeverria. "Un peu avec cette idée de redécouvrir les valeurs libérales et démocratiques dans la société mexicaines", il créera la revue "Plural", fusion de littérature et de politique. A la différence d'autres intellectuels mexicains, Paz ne tarde pas à retirer son soutien au président, coupable de ne pas vouloir faire la lumière sur les massacres de Tlatelolco en 1968, et de San Cosme en 1971. Dans la revue Plural comme dans la revue Vuleta (1976), Paz se réconcilie avec le libéralisme et dénonce les violations des droits humains des régimes communistes. Cet élan libéral lui attirera les foudres des milieux intellectuels de gauche de toute l'amérique latine.
Dans le prologue du tome 9 de ses oeuvres complètes (1993), Paz déclarera en guise de réponse :
"Au Mexique, avant, j'avais été perçu avec soupçon et méfiance; depuis, la défiance a commencé à se transformer en une inimitié de plus en plus ouverte et intense. Mais à cette époque (les années 1950) je ne m'imaginais pas que les vitupérations m'accompagneraient d'année en année, jusqu'à maintenant".
Le cas de Paz est de beaucoup similaire à celui du romancier péruvien Mario Vargas Llosa (également prix nobel (2010)) qui embrassa lui aussi la cause du libéralisme politique et fit l'objet de toutes les critiques des même milieux, y compris des plus grandes figures littéraires d'Amérique latine restées fidèles au marxisme (Sepulveda, Garcia Marquez, Neruda) .
On reproche surtout beaucoup au poète de s'être métamorphosé en poète officiel, installé, académique, ayant perdu tout recul et sens critique sous le poids des ors de la fonction diplomatique et du confort intellectuel. Rançon de la gloire littéraire, Paz fut ridiculisé dans la culture populaire et fustigé par la nouvelle génération d'écrivains mexicains : , le romancier Roberto Bolaño lui reproche sa vision machiste, réductrice de la culture mexicaine et le dépeint en académicien vieillissant et vidé de toute inspiration dans son oeuvre Les Détectives sauvages. L'attaque est encore plus brutale chez Federico Vite qui intitule son roman Amenez moi Octavio Paz ! et éreinte sans pitié l'idole nationale, coupable à ses yeux de multiples compromissions avec les autorités politiques corrompues et de malhonnêteté intellectuelle.
Mais ce faisant, ces jeunes auteurs avides de "tuer le père" ne font que s'inscrire dans la "tradition de la destruction" des avants
gardes littéraires, qu'avait parfaitement identifié Paz, et illustrent finalement pour la énième fois la célèbre maxime d'Ovide: "c'est aux sommets que s'attaque la jalousie; ce sont les
lieux les plus élevés que balayent les vents".
Couronné de 14 distinctions littéraires récompensant sa vaste oeuvre (15 recueils de poèmes, 19 essais et quelques traductions) d'intellectuel lucide et de poète toujours en quête de renouvellement, Octavio Paz s'eteint en avril 1998 dans sa demeure à Coyoacan, à l'âge de 84 ans.
L'oeuvre poétique d'Octavio Paz a pleinement embrassé les évolutions artistiques de son temps et avancé au gré des avant gardes littéraires; d'abord focalisée sur la question sociale, elle s'est peu à peu élargie aux thèmes de la solitude, de l'incommunicabilité, de la recherche de l'identité, de l'évasion hors du temps et de l'érotisme, en s'appuyant fortement sur l'élan surréaliste et le "lyrisme moderne" d'un Saint John Perse. Au plus loin de ses recherches, Paz aboutit à une poésie spatiale, articulée autour du concept de "topoème" (toponymie et poème) qui rompt avec la tradition discursive et temporelle. Il développa dans cette voie un art quasi métaphysique, où aux signes linguistiques répondent des signes visuels. Dans ses ultimes topoèmes (ils figurent dans le recueil "Le feu de chaque jour"), le poète donne une importance primordiale au pouvoir suggestif et expressif des images plastiques.
Ses nombreux essais brassent un large spectre de domaines, allant de l'anthropologie (Le labyrinthe de la Solitude, essai sur l'identité nationale mexicaine) à la théorie poétique (l'Arc et la lyre, 1956) en pasant par l'étude critique de figures littéraires (Soeur Juana Ines de la Cruz, Claude Levy Strauss,Marcel Duchamp) ou même la sexualité (La flamme double, 1993) et révèlent un esprit d'analyse aussi fin que pénétrant. Ils laissent un témoignage capital du douloureux cheminement intellectuel d'un homme cherchant à fuir les pièges des idéologies (Paz récusera notamment le Trotsky de "Leur morale et la nôtre") et réhabiliter le concept de "personne humaine" , trop souvent aboli par les grands mouvements meurtriers de l'Histoire.
Paz proposait de définir l'homme comme "un être qui sait sourire", et non point seulement comme un animal social, une créature péchèresse de Dieu, un homo faber ou un homo sapiens.
Quelques poèmes d'Octavio Paz
vision du rédacteur