Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz (1877-1939)
Danse de singe
Au son d'une petite musique narquoise, sautillante,
essouflée, tandis qu'il pleut, tandis qu'il pleut de la pluie pourrie,
Saute, saute, mon âme, vieux singe d'orgue de barbarie,
petit vieillard pelé, sournois, animal romantique et tendre,
avec ta queue d'automne effeuillée, prétentieusement tordue,
en point d'interrogation sur le vide ciel du crépuscule,
essuie tes pleurs, singe galant, mélancolique et ridicule,
singe galeux de l'amour mort, singe édenté des jours perdus.
Encore un air, encore un air ! Celui qui sent les tabagies,
le faubourg lépreux, la foire d'automne et les fritures aigres,
pour faire rire les filles mal nourries - ô sale, affreux, maigre,
piteux, épileptique singe, animal pur des nostalgies !
Encore un air ! Hélas le dernier ! Et que ce soit cette sourde
valse de jamais, requiem des voleurs morts, musique en échos,
qui dit : adieu les souvenirs, l'amour et la noix de coco...
Tandis que la pluie pauvre fait glouglou dans la boue vieille et lourde.