Pierre Reverdy (1889-1960)
Dans ce Désert (Bois vert, 1949)
Ce regard
qui m'a laissé son dard dans le flanc
ce dard qui n'en sort pas
cette tête inspirée qui tient tout l'horizon
le plat bord de la nuit
qui me sert de bâillon
et la soif de bonheur qui me donnait la fièvre
Dans ce désert
Enfin rien ne sort
rien ne vient
dans la réalité trop sombre
où le soleil déplie son papier de couleur
toujours neuf
on ignore le jeu et la partie se gagne
sur le trapèze d'os où le singe s'endort
encore un cran dans la montée sévère
et décidement rien ne sort
de ton coeur démonté où la rumeur s'apaise
rien ne tient à la loi des mots
A la liste des morts au sommeil sans encombre
Arbres couverts de sel
de fruits cueillis dans les ruelles
têtes charnues plissées de rire plein d'abeilles
rien ne tient au fond
ni à la forme
l'esprit monte à la corde sans efforts
comme le soleil dans les ombres
puis je tâche de vivre à mon moindre ressort
je tâte la nuit qui approche
comme la mer repue
qui regagne ses bords
ma nuit sans horizon où la lune s'accroche
rien ne répond à mon appel muet
rien ne s'oppose à ce geste durci
qui fauche ma moisson
allons il fait plus chaud
plus noir dans la maison
mon coeur a dévidé sa laine
plus de feu dans le coin
plus d'amour plus de haine
bateau perdu sans mât
sans orientation
tête tranchée
poitrine sans passion
houle du monde nu
fermé
cercle de ma prison
amour sec
et la mort à secret
sur la fenêtre bleue
qui m'attend au balcon
veilleuse au cadre noir
à l'angle des saisons
ma part de faim
de soif
mains vides
sang perdu
Dans ce désert