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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 19:42

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Joyce Mansour (1928-1986)

 

 

 

La nuit je suis le vagabond

 

 

La nuit je suis le vagabond dans le pays du cerveau

Etiré sur la lune en béton

Mon âme respire domptée par le vent

Et par la grande musique des demis fous

Qui mâchent des pailles de métal lunaire

Et qui volent et qui volent et qui tombent sur ma tête

A corps perdu

  

Je danse la danse de la vacuité

Je danse sur la neige blanche de la mégalomanie

Tandis que toi derrière ta fenêtre sucrée de rage

Tu souilles ton lit de rêves en m’attendant.

 

 

 

 

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 21:38

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Jean Pierre Claris de Florian (1755-1794)

 

 

 

La brebis et le chien

 

 

La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah ! Disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.
Moi, qui tous les ans les habille,
Qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille
Assassiné par ces méchants.
Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,
Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste !
Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?
Va, ma soeur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.

 

 

 

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 21:24

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Stéphane Mallarmé (1842-1898)

 

 

Aumône

 

 

Prends ce sac, Mendiant ! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d'une tétine avare
Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas.

Tire du métal cher quelque péché bizarre
Et, vaste comme nous, les poings pleins, le baisons
Souffles-y qu'il se torde ! une ardente fanfare.

Eglise avec l'encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur d'une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les oraisons,

Et l'opium puissant brise la pharmacie !
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin
Et boire en la salive heureuse l'inertie,

Par les cafés princiers attendre le matin ?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.

Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D'emballage, l'aurore est un lac de vin d'or
Et tu jures avoir au gosier les étoiles !

Faute de supputer l'éclat de ton trésor,
Tu peux du moins t'orner d'une plume, à complies
Servir un cierge au saint en qui tu crois encor.

Ne t'imagine pas que je dis des folies.
La terre s'ouvre vieille à qui crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux que tu m'oublies

Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.

 

 

 

 

 

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11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 13:14

 
sabine-sicaud.jpg

 

 

Sabine Sicaud (1913-1928)

 

 

Ah, laissez moi crier !


 

Ah, laissez moi crier, crier, crier,

crier à m'arracher la gorge !

crier comme une bête qu'on égorge

comme le feu martyrisé dans une forge

comme l'arbre mordu par les dents de la scie

comme un carreau sous le ciseau du vitrier...

 

Grincer, hurler, râler ! peu me soucie

que les gens s'en effarent. J'ai besoin

de crier jusqu'au bout de ce qu'on peut crier.

 

Les gens vous ne savez donc pas comme ils sont loin

comme ils existent peu, lorsque vous supplicie

cette douleur qui vous fait seul au monde ?

Avec elle on est seul, seul dans sa geôle;

Répondre ? non. Je n'attends pas qu'on me réponde

je ne sais même pas si j'appelle au secours,

si j'ai même crié, crié comme une folle,

comme un damné, toute la nuit et tout le jours.

 

Cette chose atroce, inouïe, qui vous tue

croyez vous qu'elle soit

une chose possible à quoi on s'habitue ?

Cette douleur, mon Dieu, cette douleur qui tue...

 

Avec quel art cruel de supplice chinois

elle montait, montait, à petits pas sournois,

et nul ne la voyait monter, pas même toi,

confiante santé, ma santé méconnue !

C'est vers toi que je crie, ah ! c'est vers toi, vers toi !

Pourquoi si tu m'entends, n'être pas revenue ?

Pourquoi me laisser tant souffrir,dis moi pourquoi

ou si c'est ta revanche et parce qu'autrefois

jamais, simple santé, je ne pensais à toi.

 

 

 

 

 

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 14:50

 

  hector de saint denis garneau

 

 

Hector de Saint Denys Garneau (1912-1943)

 

 

Ma Maison

 

 

Je veux ma maison bien ouverte,
Bonne pour tous les miséreux.

 

Je l'ouvrirai à tout venant
Comme quelqu'un se souvenant
D'avoir longtemps pâti dehors,
Assailli de toutes les morts
Refusé de toutes les portes
Mordu de froid, rongé d'espoir

 

Anéanti d'ennui vivace
Exaspéré d'espoir tenace

 

Toujours en quête de pardon
Toujours en chasse de péché

   

 

 

 


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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 13:14

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Eustache Deschamps (1346-1406)

 

 

 

Ballade contre la Guerre

 

 

J’ai les états de ce monde avisé

Et poursuit du petit jusqu’au grand,

Tant que je suis du poursuir lassé,

Et reposer me veut dorénavant ;

Pour âme et corps, selon m’intention

Est guerroyer, qui tout va détruisant ;

Guerre mener n’est que damnation.

 

Autres états ont de labour assez

En sûreté vont leurs corps reposant,

Et se vivent de leurs biens amassez,

Jusqu’à fin vont leurs âges menant :

Et l’un état va l’autre confortant,

Sans rien ravir, loi et juridiction

Tiennent entre eux, dont bien puis dire tant :

Guerre mener n’est que damnation.

 

Car on y fait les sept péchés mortels,

Tollir, meurtrir, l’un va l’autre tuant,

Femmes ravir, les temples sont cassés,

Loi n’a entre eux, le moindre est le plus grand,

Et l’un voisin va l’autre défoulant.

Corps et âme met à perdition

Qui guerre suit ; aux diables la comment !

Guerre mener n’est que damnation.

 

Prince, je veux mener dorénavant

Etat moyen, c’est mon opinion,

Guerre laisser et vivre en labourant :

Guerre mener n’est que damnation.

 

 

 

 

 

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 12:25

mathurin-regnier.jpg

 

 

Mathurin Regnier (1573 -1613)

 

 

 

Epitaphe

 

 

J'ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
A la bonne loi naturelle,
Et si m'étonne fort pourquoi
La mort daigna songer à moi,
Qui n'ai daigné penser à elle.

 

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 12:12

 

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Paul Verlaine (1844-1896)

 

 

 

La soupe du soir


 

Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.

 

Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,
Une table qui va s'écroulant d'un côté, -
Le tout navrant avec un air de saleté.

 

L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme
A vraiment des lueurs d'intelligence et d'âme
Et c'est ce qu'on appelle un solide garçon.
La femme, jeune encore, est belle à sa façon.

 

Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,
Et perdant par degrés rapides ce qui reste
En eux de tristement vénérable et d'humain,
Ce seront la femelle et le mâle, demain.

 

Tous se sont attablés pour manger de la soupe
Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe
Dont l'ombre à l'infini s'allonge tout autour
De la chambre, la lampe étant sans abat-jour.

 

Les enfants sont petits et pâles, mais robustes
En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes
Qui disent les hivers passés sans feu souvent
Et les étés subis dans un air étouffant.

 

Non loin d'un vieux fusil rouillé qu'un clou supporte
Et que la lampe fait luire d'étrange sorte,
Quelqu'un qui chercherait longtemps dans ce retrait
Avec l'oeil d'un agent de police verrait

 

Empilés dans le fond de la boiteuse armoire,
Quelques livres poudreux de " science " et d' " histoire " ,
N, Et sous le matelas, cachés avec grand soin,
Des romans capiteux cornés à chaque coin.

 

Ils mangent cependant. L'homme, morne et farouche,
Porte la nourriture écoeurante à sa bouche
D'un air qui n'est rien moins nonobstant que soumis,
Et son eustache semble à d'autres soins promis.

 

La femme pense à quelque ancienne compagne,
Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,
Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,
Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots

 

 

 

 

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 18:04

 

 

  jean-lorrain.jpg       

 

 

Jean Lorrain (1855-1906)

 

 

Personnage excentrique de la Belle Epoque, Jean Lorrain (pseudonyme) était à la fois chansonnier, critique d'art, journaliste, romancier précieux et poète pédantesque. Il cumulait à plaisir dandysme mondain, homosexualité affichée, passion de la critique perfide et de la calomnie, de la saillie vulgaire et du vers parnassien, mais il sombra dans l'oubli après sa mort. Le style trop maniéré de son oeuvre, un trop grand attachement aux problématiques esthétiques et culturelles de son époque,  plombé par une réputation éxécrable et méritée eurent raison de sa postérité (pas totalement cependant, puisqu'il existe encore aujourd'hui une avenue Jean Lorrain à Nice, une autre à Fécamp et une place Jean Lorrain à Paris). 

 

 Je retiens néanmoins de cet homme un poème singulier, "Le Visonnaire", qui n'a pas pris une ride tant il est dégagé des circonstances de son époque. Composé de dix strophes d'alexandrins, le visionnaire est une description minutieuse d'un long cauchemar de tonalité presque baudelairienne, qui se conclue sur une vision allégorique de l'humanité d'une brutale justesse.

 

 

 

Visionnaire

 


C'était au fond d'un rêve obsédant de regrets.
J'errais seul au milieu d'un pays insalubre.
Disque énorme, une lune éclatante et lugubre
Émergeait à demi des herbes d'un marais.

 

Et j'arrivais ainsi dans un bois de cyprès,
Où des coups de maillet attristaient le silence
Et l'air était avare et plein de violence,
Comme autour d'un billot dont on fait les apprêts.

 

Un bruit humide et mat de chair et d'os qu'on froisse,
Des propos qu'on étouffe, et puis dans l'air muet
Un râle exténué, qui défaille et se tait,
Y faisaient l'heure atroce et suante d'angoisse !

 

Une affre d'agonie autour de moi tombait.
J'avançai hardiment entre les herbes sèches,
Et je vis une fosse et, les pieds sur leurs bêches,
Deux aides de bourreau, qui dressaient un gibet.

 

Les deux bras de la croix étaient encore à terre ;
Des ronces la cachaient : devant elle à genoux
Trois hommes, trois bandits à visage de loups
Achevaient d'y clouer un être de mystère,

 

Un être enseveli sous de longs cheveux roux
Tout grumelés de pourpre, et dont les cuisses nues,
Entre cet or humide et vivant apparues,
Brillaient d'un pâle éclat d'étoile triste et doux.

 

Au-dessus des cyprès la lune énorme et rouge
Éclaira tout à coup la face des bourreaux
Et le Crucifié, dont les blancs pectoraux
Devinrent les seins droits et pourprés d'une gouge !

 

Et, les paumes des mains saignantes, et deux trous
Dans la chair des pieds nus se crispant d'épouvante,
Je vis qu'ils torturaient une Vierge vivante,
Contre la croix pâmée avec des grands yeux fous.

 

Les hommes, l'oeil sournois allumé de luxures
Devant ce corps de femme à la blême splendeur,
Dont l'atroce agonie aiguisait l'impudeur,
Prolongeaient savamment la lenteur des tortures.

 

Et dans ces trois bourreaux, sûrs de l'impunité,
Raffinant la souffrance et creusant le supplice,
Je reconnus la Peur, la Force et la Justice,
Torturant à jamais la blême Humanité.

 

 

 

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 00:18

 

Charles de Vion d'Alibray (1600-1655) était un poète et traducteur français, vraisemblablement né à Paris, et dont on sait peu de choses. "Sieur d'Alibray", comme il se nommait lui même dans ses oeuvres, aurait appartenu à une lignée noble, et initialement embrassé la carrières des armes. Contemporain de Corneille et de Blaise Pascal (il leur dédia d'ailleurs quelques sonnets)  ce poète du XVIIème siècle  s'est distingué par des vers frais et simples dans la veine de la "poésie de cabaret", célébrant les plaisirs du corps et la bonne chère, mais pouvant parfois revêtir une tonalité plus grave, comme exprimée dans son poème, "Songe, mortel" :  

 

« Songe, songe, mortel, que tu n'es rien que cendre /

Et l'assuré butin d'un funeste cercueil, /

Porte haut tes desseins, porte haut ton orgueil /

Au gouffre du néant il te faudra descendre. »

 

 

Quasiment tombée dans l'oubli en ce début de 21ème siècle, l'oeuvre de Charles de Vion D'Alibray mérite amplement qu'on s'y repenche. Ne serait-ce que pour ce sonnet résolument anti-militariste d'une merveilleuse justesse tiré des "vers bachiques"  :

 

 

 

Je ne vais point aux coups exposer ma Bedaine



"Je ne vais point aux coups exposer ma bedaine
Moi qui ne suis connu n'y d'Armand ni du Roi ;
Je veux savoir combien un poltron comme moi
Peut vivre n'etant point Soldat ni Capitaine.

Je mourrais, s'il fallait qu'au milieu d'une plaine
Je fusse estropié de ce bras dont je bois ;
Ne me conte donc plus qu'on meurt autant chez soi,
A table, entre les pots, qu'où ta valeur te mene.

Ne me conte donc plus qu'en l'ardeur des combats
On se rend immortel par un noble trespas,
Cela ne fera point que j'aille à l'escarmouche.

Je veux mourir entier, et sans gloire, et sans nom,
Et crois moi, cher Clindor, si je meurs par la bouche
Que ce ne sera pas par celle du Canon."

 

 

 

 

 

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