Sabine Sicaud (1913-1928)
Ah, laissez moi crier !
Ah, laissez moi crier, crier, crier,
crier à m'arracher la gorge !
crier comme une bête qu'on égorge
comme le feu martyrisé dans une forge
comme l'arbre mordu par les dents de la scie
comme un carreau sous le ciseau du vitrier...
Grincer, hurler, râler ! peu me soucie
que les gens s'en effarent. J'ai besoin
de crier jusqu'au bout de ce qu'on peut crier.
Les gens vous ne savez donc pas comme ils sont loin
comme ils existent peu, lorsque vous supplicie
cette douleur qui vous fait seul au monde ?
Avec elle on est seul, seul dans sa geôle;
Répondre ? non. Je n'attends pas qu'on me réponde
je ne sais même pas si j'appelle au secours,
si j'ai même crié, crié comme une folle,
comme un damné, toute la nuit et tout le jours.
Cette chose atroce, inouïe, qui vous tue
croyez vous qu'elle soit
une chose possible à quoi on s'habitue ?
Cette douleur, mon Dieu, cette douleur qui tue...
Avec quel art cruel de supplice chinois
elle montait, montait, à petits pas sournois,
et nul ne la voyait monter, pas même toi,
confiante santé, ma santé méconnue !
C'est vers toi que je crie, ah ! c'est vers toi, vers toi !
Pourquoi si tu m'entends, n'être pas revenue ?
Pourquoi me laisser tant souffrir,dis moi pourquoi
ou si c'est ta revanche et parce qu'autrefois
jamais, simple santé, je ne pensais à toi.