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27 novembre 2012 2 27 /11 /novembre /2012 15:37

mtshali.jpg

 

Oswald Mbuyiseni Mtshali (1940-), poète sud africain

 

Rien qu'un passant

 

Je les ai vu le tabasser avec des kieries*,

je l'ai entendu hurler de douleur

comme la victime d'un massacre,

j'ai senti le sang frais jaillir

de ses narines,

et se répandre sur la rue.

 

Je suis entré dans une église

et je me suis agenouillé sur un banc

"Seigneur ! Je vous aime.

J'aime aussi mon prochain. Amen"

Je suis sorti

le coeur aussi léger que le baiser d'un ange

sur la joue d'une âme sainte.

 

Sur le chemin du retour je me pavanais

devant une foule de badauds.

Alors elle est entrée -

ma voisine, ma prochaine- :

-"As-tu entendu ? Ils ont tué ton frère."

- "Oh ! Non ! Je n'ai rien entendu. J'ai été à l'église."

 

traduit de l'anglais par E. Dupas

 

* kierie: mot afrikaan désignant une sorte de court et gros bâton orné d'une tête caronculée, traditionnellement utilisé  pour la marche ou en guise de projectile par les peuples autochtones de l'Afrique du Sud.

 

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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 00:22

 

kenyan-flag.jpg

 

Jared Angira (1947-), poète kenyan

 

 

Là où les tortues n'osent pas s'aventurer

 

Le tracas

               est semblable à un papillon,

     il s'évanouit en cendres, vénéneuses,

je lui donne de l'espace pour respirer

                        une bouffée d'air vespéral,

il s'en va à tire d'ailes

         et là, là, se pose dans la merde

battant de l'aile

        sous l'excitation d'une nouvelle découverte

 un nouvel endroit où se poser

                oh pauvre papillon 

qui meurt dans l'éclat de la lumière

 

  un fleuve qui évite la colline

                    pour pouvoir se jeter à pic

      en d'épouvantables cascades

              une aiguille qui tente de se cacher

et s'enfonce profondément en toi

   une souche qui n'avait jamais germé

   tu essaies de la modeler selon ta forme

               elle prend la forme qui est sienne

   la fleur de Jacinthe pourpre

                  le triangle des Bermudes

         où les tortues n'osent pas s'aventurer.

 

 

traduit de l'adaptation espagnole d'Omar Perez par E. Dupas

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 19:44

 

viriato-da-cruz.jpg

 

Viriato Clemente Da Cruz (1928-1976), poète angolais

 

 

Cour (Namoro)

 

Je lui ai envoyé une lettre au papier parfumé,

et de ma plus belle écriture je lui ai dit qu'elle avait

un sourire lumineux si chaleureux et gai

comme le soleil de novembre jouant à l'artiste dans les acacias fleuris,

propageant des diamants sur les franges de la mer 

 et donnant chaleur au jus des mangues


que sa douce peau - était du kapok*...

que sa douce peau - avait la couleur du jambosier*, parfumée aux roses

si ferme et si douce - comme le maboque*

que ses seins étaient des oranges - des oranges du Loje*

ses dents - de l'ivoire...

Je lui ai envoyé cette lettre et elle a dit non.

 

Je lui ai envoyé une carte

que l'ami Maninho avait typographié :

"Mon coeur souffre pour toi"

dans un chant - Oui, dans l'autre - Non

et elle n'a pas adoucit son chant.

 

J'ai envoyé un message à Joseph le septième

en demandant, en suppliant à genoux,

par Notre Dame du Cap, par Sainte Iphigénie,

qu'il me donne la joie de son amour...

Mais elle a dit non.

 

J'ai envoyé à Grand mère Chica, sorcière de renom,

le sable de l'empreinte que son pied avait laissé

pour qu'elle lui jette un sort puissant et sûr,

et qu'un amour aussi fort que le mien naisse en elle...

et le sort a échoué.

 

Je l'ai attendu l'après midi, à l'entrée de l'usine,

je lui ai donné un collier, un anneau et une broche,

je lui ai payé des bonbons sur le trottoir de la Mission,

nous sommes restés dans une banque de la place de la Statue,

j'ai touché ses mains... Je lui ai parlé d'amour... Et elle m'a dit non.

 

Je marchais hirsute, sale et sans chaussures,

comme un monangamba.

On me cherchait :

"- N'as tu pas vu (ai, n'as tu pas vu ?), n'as tu pas vu Benjamim ?"

et on m'a retrouvé perdu dans un bidonville de Samba*.

 

Pour me distraire 

on m'a emmené au bal de la Saint Janvier

mais elle y était, dans un coin à rire,

racontant mon malheur 

aux plus belles filles du quartier des travailleurs.

 

On a joué une rumba - j'ai dansé avec elle

et dans un pas fou nous avons volé dans la salle

comme une étoile striant le ciel !

et la bande s'est écriée : " Ai, Benjamim !"

je l'ai regardé dans les yeux -elle m'a sourit

je lui ai demandé un baiser - et elle m'a dit oui.

 

traduit du portugais par E. Dupas et Cassio Duarte.

 

Lexique :

*kapok fibre végétale que l'on tire de fruits de plusieurs arbres de la famille des Bombacaceae

*jambosierLe jamrosat (Syzygium jambos), ou jambrosade, jambosier, jam-rose, pomme rose est un arbre de la famille des Myrtacées.

*maboque : fruit du Maboqueiro, ou Strychnos spinosa, communément appellés "orange de singe".

*Loje : cours d'eau de l'Angola.

*Samba : une des municipalités de Luanda, capitale de l'Angola.


 

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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 10:31

 

obemata1

 

Obe Mata (? -), poète nigérian

 

 

Monsieur le Politicien

 

Tout était verdoyant

quand il s'est assis pour lire le London Times.

 

Je passai, le saluai,

il répondit avec un signe :

 

"du balai, ne marchez pas sur l'herbe"

 

La maison de verre qu'il construisait 

brillait comme un miroir au soleil.

 

Je passai à nouveau, il me salua

et ses yeux cherchaient les traces de mes pas.

 

Il avait construit sa maison avec du verre,

et il craignait que je jetasse des pierres.

 

Sous ses pieds se trouvaient des brins d'herbes

qu'il arrosait avec mon sang. 

 

 

traduit de l'anglais par E. Dupas

 

 

 

 


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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 09:33

 

obemata1.jpg

 

Obe Mata (??), poète nigerian

 

Une sorte de Silence 

 

(Pour Osamuyi, In memoriam)

 

D'abord, ils l'ont tenu pieds et poings liés,

puis ils ont placé un ruban adhésif sur sa bouche;

mais il continuait de plaider l'innocence.

Alors ils lui ont crevé les yeux,

mais il continuait de voir plus ou moins,

alors ils lui ont tranché les oreilles,

mais il continuait d'entendre,

alors ils lui ont coupé les poignets,

mais il continuait d'avoir prise sur les garrots enchainés,

alors ils lui ont brisé les chevilles,

mais il gardait toujours un pied dans la vie,

alors, alors, alors, ils ont fourragé de la laine dans son nez,

étendu un drap sur lui,


et tandis qu'il gisait agonisant,

ils ont aboyé :


muy senior mio,

vous avez le droit de garder le silence. 

 

 

traduit de l'anglais par E. Dupas

 

 

 

 

 


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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 07:59

 

mpalive.jpg

 

Mpalive-Hangson Msika, poète malawien

 

 

Feuille de Banane

 

Quand l'hiver sera parti

je t'écrirai un poème

simple comme la forme de l'univers

paisible comme la verdeur d'une feuille de banane.

 

Plus de sanctuaires ancestreux sur nos plateaux,

peut être quelques uns célèbrant les femmes dansantes-

talismans d'un chef vieillissant

 

tant que le temps est calme

ne partage pas les pétales de mon coeur.

Les collines, nues et désolées, ont refusé de prier pour la pluie.

Nous devons partir avant que la nuit ne dorme

ici ils ne battent pas les tambours le dimanche.

 

Emmène-moi à la rivière,

je veux planter l'amour dans la gueule

d'un crocodile.

 

Si humain le sourire du scorpion.

 

traduit de l'anglais par E. Dupas

 

 

 

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23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 11:22

 dorianHaarhof.jpg

Dorian Haarhoff (1944-), poète namibien

 

Prière de la Plume

 

En Egypte, Osiris,

le Seigneur de l'au-delà,

mettait en balance les coeurs

de ceux qui franchissaient la mort

contre celui de la plume de vérité.

 

Les légers de coeur

résidaient dans ses chambres pour l'éternité,

 tandis que le Crocodile,

Monstre du Nil,

dévorait les âmes

lourdement matérielles.

 

J'ai pesé les mots de mon stylo

sur les balances de l'espace

afin que ceux-ci aient le même poids

que celui laissé par l'oiseau de guinée

sur l'herbe -

la légèreté d'une plume.

 

 

traduit de l'anglais par E. Dupas

 

 

 

 

 

 


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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 18:23

 

 mukagasana_yolande.jpg

 

 Yolande Mukagasana (1954-), poétesse rwandaise

 

La Folie

 

Ce soleil méchant et complice

Qui ose sourir aux assassins 

Qui ose illuminer ce pays maudit

où la loi dirigeante est celle du sang

 

Dans lequel je ne vois plus que l'abîme

où tout le monde s'enfoncera

un trou noir, où il n'y a que la mort,

aucune lueur, aucun rayon d'espoir

 

l'absence des victimes est celle des bourreaux

l'absence des bourreaux est celle des victimes

nous avons toute la vie en commun

drôle d'espèce que l'humain

 

Moi j'embrassais le vent qui emportait mes enfants

je voulais l'embrasser pour les sentir

les serrer très fort dans mes bras

pour me dire que plus rien ne pourra me les enlever 

 

Je les suivrai jusqu'au delà de l'au delà

nous resterons ensemble pour l'éternité

cette éternité que moi seule je comprends

car mon éternité est aussi mon présent

 

le vent soufflait sur mon corps

je voulais être nue pour sentir sa fraîcheur

j'avais chaud d'être dans l'irréel du réel

je transpirais fort de voir l'iréel de ma vie

 

J'aurais aimé que ce vent me chatouille

pouvoir rire, comme antan, dans ma bêtise,

et rire de ma sottise de penser que le mal est fort

pouvoir encore rire de moi-même.

Rire de bonheur dans un malheur trop fort.     

 

Je dois sortir au plus vite

de ces souffrances qui me stérilisent

qui anéantissent mon corps et mon âme

quand le monde pense que je vis   

 

Pourtant je suis morte ce jour là

les 100 jours sans réponse du plus haut

m'ont fait douter de son existence

jusqu'au mépris de ceux qui me l'ont appris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 16:24

 

koulsy lakmo

 

Koulsy Lamko (1959 -), poète tchadien

 

 

N'Djamena

 

Cette putain de ville

qui ne sait pas taire les batifolements de ceux qui forniquent

cette ville de lépreux aux doigts gourds

cette ville de mensonges où l'on tue les lapins

qui traversent la rivière pour un paquet de sucre


Ville four pour cuire le cuir de l'hippopotame

quand soufflent les alizées de l'aride désert

mars avril mai juin

cette ville qui s'accroche entièrement à l'oeil, à la gueule, à la narine


Ville poussière

aux rues en damier, jonchées de sacs plastiques noirs

ici devant l'Hôtel de ville

au milieu des immenses piles de détritus de boîtes de poubelles

s'échangent les alliances de fiançailles


Ville bourbier de saisons des pluies, ville lacustre 

inondée par la moindre goutte de pluie

on n'a plus pied dans l'eau

dans les maisons de pisé et les occupants

de porter leurs mocassins sur le crâne 

pour la traversées des rues-ruisseaux

et d'appuyer leurs pantalons sur les monticules

avant de revenir s'immerger dans le tumulte du Béguinage


Grosses mouches vertes, araignées

sauterelles tristes en désordre,

préservation de la faune; de la nature;

de l'éco-système;

Beauté réservée, pour finir à l'Unesco

en manière de patrimoine mondial de l'humanité

ici l'on sait conserver l'héritage néolithique

Toumaï est des nôtres


je sens les scarabées rampants gavés de bouse

à la parade nuptiale de l'hippodrome

qui s'en retournent à califourchon dans leur tombe

transportant, agitant les victuailles en boules rondes

la nourriture d'années de défécation

un grande et lourd cathéter noir

enroulé dans sa viscosité

l'énorme pâte de mil rouge

ici les jardins sont des latrines


Ville carnivore et sangsue

l'adolescence voyage jusqu'à la dissolution

voleuse, la joue balafrée

on se déchire les nerfs, la chair

pour se faire bandit


et les coyotes ingénus sous les couvercles de poubelle

fouillent pour trouver des morceaux de chair rebelle

se raccroche à l'os de poulet mastiqué

les chiens ont le museau si faible

que le plus petit tibia est trop lourd à porter

 

Et pendant que se noient les hommes -

mouche perdue dans les vapeurs d'alambic

la conscience dans la pâte de manioc

se nourrit de cyanure en intraveineuse

On me dit qu'ici l'on se repose

mais je ne peux pas croire que le suicide est un destin

De quoi se repose-t-on dans une telle désolation ?

Ne pouvions nous plus continuer de marcher ?

Il vaut mieux faire quelques pas de plus

qu'être né fatigué, épuisé et exténué

pour dire qu'ici c'est : N'Djamena !

la Dernière station fatale !

 

 

traduit de l'adaptation espagnole d'Araceli Zuleta Zarco par E. Dupas

 

 

 

 


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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 16:51

 

jorge rebelo

 

Jorge Rebelo (1940- ), poète mozambicain

 

 

Le Monde que Je t'Offre

 

Le monde que je t'offre, ma douce,

a la beauté d'un rêve assemblé.

 

Ici les hommes sont des croyants -

non en des dieux ou d'autres choses insensées -

mais en des vérités qui sont pures

et révolutionnaires,

si belles et si humaines

que les hommes acceptent

de périr 

pour qu'elles vivent.

C'est cette croyance, ce sont ces vérités

que j'ai à t'offrir.

 

Ici la tendresse n'est pas conçue

dans les chambres à coucher.

C'est une tendresse, âpre, violente, amère

née de la dureté de la lutte,

née des longues marches,

née des jours d'attente.

C'est cette tendresse, dure et amère

que j'ai à t'offrir.

 

Ici nulle rose ne pousse. 

Le poids des bottes a écrasé les fleurs

sur les chemins.

Ici croît le maïs, le cassava, les haricots

nés de l'effort des hommes

pour prévenir la faim.

C'est cette absence de roses,

cet effort, cette faim

que j'ai à t'offrir.

 

Ici les enfants ne grandissent pas,

leur sourire est éternel,

ils jouent avec le soleil, le vent,

avec la pluie et les sauterelles,

de vraies fusils

et des goupilles de grenades.

C'est ce sourire éternel d'enfant, ce soleil,

ces vrais fusils

(avec lequels moi aussi j'ai joué)

que j'ai à t'offrir.

 

Le monde dans lequel je me bats

a la beauté d'un rêve assemblé.

C'est ce combat, ma douce, ce rêve,

que j'ai à t'offrir.

 

traduit du portugais par E. Dupas

 

 


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