Edward Thumboo (1933 -), poète singapourien
Ulysse devant le Merlion
J'ai navigué sur de nombreuses mers,
longé des îles de feu,
affronté Circé
qui aimait le grouinement des cochons;
j'ai passé de Charybde et Scylla
jusqu'aux sept mers avec Calypso,
je me suis soulevé contre les dieux.
Tout ce temps
j'ai gardé foi en Ithaque, j'ai voyagé,
voyagé et voyagé,
souffrant beaucoup, me réjouissant peu;
j'ai rencontré des peuples étranges qui chantaient
de nouveaux mythes; j'ai moi-même crée des mythes.
Mais ce lion de mer
à la crinière de sel, ce lion écailleux, à la queue surnaturelle,
empli de force, insistant
sur ce bref promontoire...
me déroute.
Rien, rien dans mes jours
ne pouvait présager de
cette demi bête, de ce demi-poisson,
de cette puissance créature terrestre et maritime.
Des peuples se sont installés ici,
ont apporté à cette île
l'abondance de ces mers,
bâti des tours aussi nues que des lys,
ils fabriquent, ils servent,
ils achètent, ils vendent.
Malgré des chemins inégaux,
ensemble ils mutent,
explorent les contours de l'harmonie,
cherchent un centre;
ils ont changé leurs dieux,
gardé un souvenir de leur race
dans la prière, le rire, la façon
dont leurs femmes s'habillent et se saluent.
Ils font tenir les lumineux, les beaux,
les bons rêves ancestraux
dans de nouvelles visions,
si brillantes, urgentes,
si pleines du maintenant.
Peut être qu'à force de s'être occupé des choses,
de les avoir eu en surabondance,
leur esprit se languit à nouveau d'images,
s'ajoutant au dragon, au phoenix,
au Garuda, au Naga, ces chevaux du soleil,
le lion de mer,
l'image d'eux-mêmes.
traduit de l'anglais par E. Dupas