Dashdorjiin Natsagdorj (1906-1937), poète mongol
Pierre Noire (nouvelle)
Les nuits d'été sont courtes, et le soleil est déjà haut dans le ciel à huit heures du matin. Je suis à peine éveillé,
j'allume une cigarette, et je sors mon journal, qui est dessous mon oreiller, en pensant à ce nouveau jour.
Quelques mots confus dans mon journal me sont difficiles à lire. "Samedi, 30 août. Pierre noire.Nina." La signification
de ces mots est déjà oubliée et obscure. Je la lis une nouvelle fois, lentement, et je m'arrête au dernier mot : Nina.
Nina est le nom d'une fille que j'ai aimé autrefois, et ma mémoire s'allume comme de l'electricité pendant
un instant, me ramenant aux jours où je l'étreignais et l'embrassais à l'ombre d'un orme.
Excité par l'image apparaissant au bord de mes cils, je me mets à nager dans de vieux souvenirs. Je suis de plus
en plus ému par cette nage; l'image se transforme en rêves, et je m'assoupis. Réveillé par la cendre de cigarette
tombant sur mon torse, je commence à penser de nouveau à la signification de ces quelques lignes. A la simple
évocation de ce prénom, il me souvient de la jeune et mignonne fille dont je tombais amoureux il y a 7
ans de cela, et dont je fus séparé ensuite par des montagnes et des mers; mon coeur se serre. Ne sachant pas
où elle pourrait résider, j'essaie de la trouver mais j'échoue, et me voici effaré par son absence.
Mais aujourd'hui, une petite flamme adoucit mon coeur, en voyant son nom parmi les mots vides de sens inscrits
sur le journal. La note pourrait être son rappel, écrit lorsque nous nous séparâmes, mais le sens en est encore
confus. Les mots ne pouvaient pas n'être qu'une simple note, car Nina n'était pas une simple femme; elle était une
scientifique; considérant qu'il me serait peut être possible de la retrouver si le sens des mots se révélait enfin,
je réclamais une tasse de thé, toujours dans mes pensées, toujours étendu dans mon lit. Mon cuisinier me
dévisage, l'air sérieux, et me demande :
-Aya, Danjaad (mot chinois pour désigner une personne de respect)
allez vous bien ? Êtes vous malade ?
- Je vais bien.
-Je m'inquiète pour vous, vous ne semblez pas dans votre assiette.
-Merci, merci, je suis simplement fatigué.
Je me retourne, tirant la couverture dessus ma tête pour continuer dans le cheminement de ma pensée. Le
cuisinier me quitta, en murmurant"aya". La seule solution parmi les quelques mots était la date : Samedi
30 août. Pierre noire devait être le nom d'un lieu, et cela pouvait être un lieu de rencontre. Cet ensemble
m'apparut comme la signification correcte, et je me mis à chercher la date sur un calendrier. Nous sommes
aujourd'hui le 30 août, samedi. Jaillissant hors du lit, j'ordonne à mon cuisinier de seller mon cheval.
Il me considéra avec de grands yeux et sortit en marmottant
"Que se passe t-il danjaad ?" puis "Aya, cheval sellé !" cria t-il et je me levai promptement
empoignait mon fouet et me hissait sur le cheval. Mais je demeurais lors assis
à scruter les oreilles de mon cheval un long moment, ne sachant quelle direction
prendre pour rallier Pierre Noire. Mon cuisinier traînant autour de moi,
marmonna "Qu'y a t-il encore ? Avez vous oublié quelque chose ?"
Le cheval rétif ne supporte pas un long regard sur lui, et hennit pour que
nous nous mettions enfin au trot vers quelque part. Il fit quelques pas
vers l'ouest tandis que je relâchais les rênes; je décidai alors d'aller vers
l'ouest, selon l'intuition de ma monture.
Soudain, je me rendis compte compte que je m'étais avancé vers un désert,
où on ne trouvait pas âme qui vive à des kilomètres.
J'étais assoiffé, et mon âme gémissait de solitude.
Bien que le cheval suait, il n'avait pas l'air exténué. Je continuais à chevaucher
des kilomètres contre le vent, surmontant des collines. J'ouvrais ma tunique
et atteignis la vaste steppe ouverte, au sol marécageux parsemé de buissons
de salicorne. Aux quatre directions, je ne vis rien d'autre que des nuages sombres
dans le ciel, menaçant de pluie. L'état du désert n'est pas plaisant. Je restai
un moment perdu dans mes songes. le bruissant vent d'automne m'attristait.
Je me perdais dans le désert immense au lieu de retrouver Nina.
Soudain, l'oreille de mon cheval se dressa, éveillée par un bruit.
Un animal -impossible de dire s'il s'agissait d'un loup ou d'un renard- accourut vers moi;
Je ruais vers lui. Ce n'était ni un renard, ni un loup, mais un chien.
Le chien remua la queue et nous conduisit vers l'ouest. Il me faisait l'effet d'un chien
de garde ou de chasse, et je trouvais là espoir de trouver quelqu'un enfin.
Nous galopâmes ainsi en suivant le chien. Il nous éloignait de la steppe
insalubre, et le paysage se transforma en des confins montagneux
couvert d'herbe bien verte, une chaîne de montagnes à l'extrême nord ouest
que longeait en jasant un fleuve à ses pieds. Nous passâmes une colline. Le chien ralentit
sa progression, et bientôt j'aperçus un taudis poussiéreux. Aucun bétail
ne se distinguait, des arbustes maigres poussaient à l'entrée de cette
habitation. Un homme en sortit et salua le chien. J'étais heureux de pouvoir me reposer,
bien que je ne trouvasse pas Nina en ces lieux, car durant la moitié du jour
je m'étais éreinté sur le dos du cheval, et ce périple m'avait semblé avoir duré
un mois. Je sanglai mon cheval à l'extérieur et suivis l'homme dans la cabane.
Il s'assit posément du côté gauche. Je le saluai après m'être assis sur un lit
en peau d'antilope, plus à l'arrière, au fond à droite de la cahute. L'homme semblait avoir la trentaine,
et portait un pantalon de jean avec une ceinture de cuir.
Il parlait un étrange dialecte. Une personne, couverte d'une peau de mouton
étant étendue à gauche, et une tête grisâtre surgi de dessous les couvertures.
L'homme me servit un bol de thé, qu'il gardait au chaud en le posant sur des cendres
brûlantes, et un plateau de viande de marmotte. Bien que le thé eut un goût d'eau de pluie
et la viande une saveur aigre, ma faim et ma soif me convainquirent de manger et de boire.
J'interrogeai ces gens à propos de "Pierre Noire".
"J'ai vécu ici depuis mon enfance. Je suis un chasseur et je connais bien ces lieux."
Mon coeur se met à battre dans ma poitrine, mais je fus déçu par les propos qu'il tint
ensuite: "Je n'ai jamais entendu parler d'un tel endroit". Je me sentis impuissant, et ne savais
plus où aller.
La Terre est vaste, et personne ne sait où se trouve Pierre Sombre.
Mes tentatives de recherche pourraient échouer pendant cent ans, mille ans
de recherches aux quatre coins du monde. Mais penser à Nina me fait souffrir;
Je m'asseyais en méditant ces pensées. Puis une vieille femme qui était étendue
à ma gauche, redressant à peine sa tête, se leva et pria devant une sorte d'icône;
l'homme l'appella "Grand-mère, grand-mère' avec une voix emerveillée.
J'en déduisais que la vieille femme était en train de procéder à son culte nocturne,
et j'envisageais de partir dès que je le pourrais. Elle retira alors quelque chose
de l'icône, le donna à l'homme et dit " Mon fils, ceci appartenait à tes ancêtres.
Le garçon pourrait trouver l'endroit qu'il recherche s'il trouvait une pierre pareille
à celle ci."
J'ouvris grand les oreilles pour mieux percervoir ce que la femme marmonnait.
Elle poursuivit : "On dit que c'est un objet précieux rapporté d'un lieu inconnu".
L'homme considéra l'objet et se lança dans une litanie de reproches " Tu deviens
sénile, grand-mère. Cet homme se perdra par ta faute", dit-il en posant la pierre
sur la table. Je m'empressai de la prendre et la fit tomber au sol, surpris par sa
lourdeur. La pierre est fendue sur le côté, je la reposai sur la table. Alors,
quand la lumière du crépuscule vint s'étendre sur la fente de la pierre, la pierre
se mit à briller. Mon intérêt pour la pierre se ralluma, et je me décidai à trouver
l'endroit d'où cette pierre pouvait provenir.
J'étais au pied de cette montagne que j'avais aperçu au loin quelques heures
avant notre conversation dans la hutte. Je franchissais la profonde rivière
qui courait sous la pointe de la chaîne. Le sol y était bourbeux, et aucun chemin
ne se dessinait. Aucune vie animale alentours, n'étaient quelques corbeaux
tourbillonnant dessus ma tête. Le ciel s'assombrissait, et il devenait difficile
d'examiner les pierres. Je grimpai plus haut, en me méfiant des chutes de pierre.
J'étais déjà dans la forêt profonde, et la pluie, que les nuages avaient contenu jusqu'à la mi-journée,
se mit à tomber. Des vents puissants soufflèrent, les arbres bruissaient et le tonerre rétentit.
. Sous mes pieds, tout devenait de plus en plus bourbeux. Un loup hurlait
quelque part. J'étais complètement déboussolé. J'oubliai le but de mon expédition
et l'examen des pierres, et ne songeait plus qu'à sauver ma vie. J'avais beau croire
en la science, des démons mauvais vinrent envahirent mon esprit. La pluie redoublait,
des éclairs lacérèrent le ciel, le sol devenait de plus en plus inextricable et j'avais quasiment
perdu toute trace du chemin de retour. L'endroit était rocheux et effrayant.
Le nom Pierre Sombre était juste. Il est impossible que Nina puisse se trouver
en des lieux si épouvantables.
Je décidais d'attendre le lever du jour. Mon cheval est effrayé par quelque chose,
et hennit frénétiquement. j'en frémis jusqu'aux os. La chose qui a suscité son effroi
était brièvement visible dans les ténèbres, mais a disparu. J'ai tenté de la suivre,
mais je n'ai pu la retrouver. Ma Nina a disparu, ma Nina est perdue à jamais.
d'après l'adaptation de A. Delgermaa (traduit de l'anglais par E. Dupas)