Le Vagabond
"Essayez d'être libre, vous mourrez de faim."
Combien de jours, combien de jours a t-il jeûné?
Combien a t-il vu passer d'indifférents nez ?
Il est étendu sous la frondaison bonhomme
d'un très vieux charme, au square propret où l'homme
d'ici vient promener ses mornes ennuis,
un chien au bras. Il a mendié jusqu'à minuit.
Fertile d'astres, lune pleine, La nuit fut belle.
Il a gobé -don de Nature- quelques brimbelles,
passé les heures à écouter son pauvre coeur,
métronome des jours, de la mort encore vainqueur.
Barbu, hirsute, il grelotte dans sa couverture.
Le soleil le convie à reprendre l'aventure
Il faut tâcher de survivre ! Mais à quoi bon ?
Il y a t-il vie plus ingrate que celle du vagabond ?
On ne sait pourquoi, il se lève et prend la route.
De cette errance folle, cette humaine déroute,
il endosse l'entière responsabilité.
Il a fui foyer, amis, dans l'obscurité
a choisi de se tapir. Pas un seul échange
de mots depuis... La faim déjà le redémange.
La ville magnanime a ses eaux de fontaines,
ses bancs, mais de bonnes âmes samaritaines
ou de bon pain, si peu ! C'est qu'être est un combat
que l'homme esseulé ne peut gagner. Un tabac,
en un quartier crasseux. Avant sa déchéance,
il rêvait lacs, montagnes, forêts, Asie, grandeur.
Ce jour, au milieu de la pouilleuse engeance,
il ne pense à rien d'autre que des gauffres l'odeur.