Le gâteau
"La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si
mauvais qu'on croit"
Maupassant
Un soir que j'étais à Pékin , humble insecte étranger
dans la monumentale termitière hérissée vers le ciel
couronnée de poussière de sable
où les rêves de la multitude chinoise vont s'agglutinant
comme des mouches sur le papier glue,
la faim m'avait conduit dans un restaurant Hui
du quartier nord de haidian
où un petit musulman
me servit le plus étrange des mets.
Produit de la route de la soie ou d'une fusion
des savoirs ouighours et chinois
le gâteau circulaire à la pâte fine
semblait une tarte de pain perdu ensevelie de poudre de sucre
mais elle contenait - déroutant paradoxe -
une livrée de viande de mouton chaude mêlée à des
pléiades de poivrons rouges et verts froids
et à mesure que j'ingérais des portions de cette singulière pâtisserie
une sensation mitigée,
comme située à l'exacte frontière du plaisir et du dégoût,
me parcourut en profondeur
et je me souvins alors de ce que j'avais toujours su
que cette pâtisserie n'en était pas une
que cette pâtisserie, chinoise ou non,
n'était en fait qu'une sensuelle métaphore
de notre vie, de cette vie,
qui n'est que nuance
nuance des nuances,
insaisissable union de contraires,
qui toujours avance
sans jamais nous donner
ou pleine satisfaction, ou plein déséspoir
ou bonheur véritable, ou malheur complet
qui donne sel à celui qui voulait du sucre
et sucre à celui qui voulait du sel.
Toujours cette vie demeurera grise, admirablement grise, .
et ni l'homme des cavernes ni l'homme des grattes ciel
ne sauront jamais trancher s'ils l'aiment vraiment