Andrés Eloy Blanco (1897-1955), poète et homme politique vénézuélien
BESTIAIRE
Le Caïman
C'est le capitaine du Fleuve;
Vieux renard somnolent, vieux Neptune,
avec cette douleur d'éternité
des rescapés du Déluge
sur la plage candide
il soulève sa gueule ouverte, le Capitaine du Fleuve
comme s'il recrachait jusqu'aux cieux
les âmes de ceux qu'il dévora.
Vieux renard, compère du philosophe,
suspect comme le dos d'un livre !
La Raie
Scorpion de rivage.
commère vulgaire,
tapie, comme une mauvaise intention,
pleine d'animosité, comme une mauvaise langue.
Peut etre n'entre-t-elle pas dans le Fleuve
parce qu'ils ne la laissent pas,
et elle se tient en embusacde sur la rive, comme la mangue de mars
qui en quittant la coquille, nous la met sur la porte.
L'Anguille électrique
Bolide entre deux eaux, chute de tempête,
chat aquatique - l'âme de quelque chat abattu -
ou plutôt rayon tombé dans l'eau une nuit
et qui, ayant atteint le fond, fut supris par le froid.
Le Piranha
Dix-millionième partie
d'un requin
multipliée dix millions de fois.
Le Piranha est la plus courte distance
du Fleuve à la Mort.
Le Boa
La queue pendue à un arbre, la bouche dans le fleuve,
il est tout entier un canal :
la cascade vive entre dans l'Orénoque *,
le tributaire de la chair.
Le Singe
Depuis l'arbre le plus haut, où l'on touche le ciel,
la queue accrochée à la pointe d'une étoile,
le grand père nous salue, avec les mains tendues.
Les Hérons
Est-ce un nuage ? Un point vide
dans l'azur...? Non. Mon ami,
c'est une nuée de hérons...Les épouses du Fleuve...
(* : Orénoque : plus grand fleuve du Vénézuéla)
Traduit de l'espagnol par E. Dupas