Anne Sexton (1928-1974)
Ballade de la masturbatrice solitaire
La fin de la liaison est toujours la mort.
Elle est mon atelier. L'oeil glissant,
hors de la tribu de moi-même, mon souffle
découvre que tu es parti. J'horrifie
ceux qui se tiennent là. Je suis nourrie.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Doigt à doigt, elle est maintenant mienne.
Elle n'est pas trop loin. Elle est ma rencontre.
Je la bats comme une cloche. Je m'allonge
sous la tonnelle, là où tu la montais.
Tu m'empruntais sur le tapis de fleurs.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Prends par exemple cette nuit, mon amour,
où chacun des couples s'assemble
dans un retournement conjoint, au dessous, au dessus,
les deux abondants sur l'éponge ou la plume,
s'agenouillant et poussant, tête conter tête.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Je me libère de mon corps de cette manière,
d'un irritant miracle. Pourrais-je
mettre le marché du rêve à l'encan ?
Je suis étalée. Je crucifie.
Ma petite prune, comme tu le disais.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Alors, ma rivale aux yeux noirs vint.
La dame de l'eau, se levant sur la plage,
un piano aux doigts, la honte
sur les lèvres et un discours de flûte.
Et à la place je devins le balai cagneux.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Elle t'as pris comme les femmes prennent
une robe en solde au présentoir
et je me suis brisée comme une pierre.
Je rends tes livres et ton attirail de pêche.
Le journal du jour annonce que vous êtes mariés.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
Les garçons et les filles ne font qu'un ce soir.
Ils déboutonnent les chemisiers. Ils ouvrent les braguettes.
Ils retirent leurs chaussures. Ils éteignent la lumière.
Les créatures luisantes sont pleines de mensonges.
Elles s'entre-dévorent. Elles sont gavées.
La nuit, seule, j'épouse le lit.
traduit de l'américain par E. Dupas