Los Indignados
"Assommons les
pauvres !"
C. Baudelaire
Quand il me faut m'arracher
à mon moelleux trou de solitude
(où, bien à l'abri de mon prochain
et de ses éxécrables passions,
j'aime à prendre de longs bains
d'ennui et de méditation)
pour aller chercher ma subsistance au dehors
(ah si tous avions potager et verger !)
mon oreille est toujours assaillie
par les mille jérémiades politiques
le bagoût infâme et les clameurs
de sainte deséspérance
de mes augustes concitoyens
aux cafés, aux fenêtres aux tramways
aux bureaux au métro au pavé
où que j'aille il faut que mes tempes subissent
cette alarme claironnée, cet unisson d'offuscation
selon lesquels
(l'alarme et le cri ne sont ils pas la seule expression loisible
aux âmes insuffisament aristocratiques
qui ne savent pas composer avec leur solitude ?)
Les dignitaires de notre Etat Français
l'ensemble des proéminences élues et dirigeantes
sénateurs, ministres, députés,
tous ces roitelets éphémères
nous auraient trahi de très longue date
et qu'ils ne seraient en somme plus
qu'une nuée de doryphores orgiaques
, de rapaces cannibales
des Danaïdes de jouissance
néroniens eunuques aux cervelles laquées
par le Vice du Pouvoir
et qu'ils auraient atteint désormais un degré de corruption
confinant à la plus extrême abjection
j'entend
qu'ils crouleraient tous dans un luxe insane
s'étant accaparé tous les biens de la Nation,
cependant que les pauvres masses citoyennes
razziées matraquées de lois et de misères
crevoteraient de plus en plus pitoyablement
dans les fossés et l'ornière
(tout comme le tiers Etat sous Louis XIV
tout comme partout et toujours là où le pouvoir s'est materialisé
car il est dialectiquement acquis
chez notre engeance lycaonne vaguement muselée de religion
que l'effort et le produit naissent de concert avec la taille et la confiscation
que la rapine et le viol ne sauraient exister sans la vulnérabilité paysanne
que la chair faible a été conçue pour les lacérations de la griffe
que le pitoyable éveille le génie de la cruauté
en frottant autrui de ses yeux implorants
que le dos courbé aimante le fouet
et que le village nu n'existe que pour les pillards
et moi même je me sentirai bien electrisé
de dévaliser et battre
un semblable servile et honteux de lui
qui ne regimberait pas sous ma botte et mes gifles)
partout j'entend donc tonner et retonner
qu'il faudrait que cette ignominie cesse
car ce n'est plus souffrable d'être gouverné
pour être seulement dépouillés !!
Ah, Malheur, Hallali, outrage, révolution !
Et ces chers agneaux mobilisés de battre du tambour,
mégaphoner des slogans vengeurs
de trotter en troupeaux édentés de l'avenue à la place
et de la place à l'avenue
jurant et rejurant leurs sermons
Mais que feront ils donc tous
ces anges cocufiés
ces preux citoyens savonarolant
drapés de leurs fiers haillons
si forts de leur cohésion
pour remédier à cette réalité immonde ?
Rien
Ils ne feront rien
rien d'autre que claironner
et trompetter leur indignation
sur la Grand Place des martyrs menteurs
car à la vérité cette situation
les délecte
ils en tirent une jouissance
une jouissance très particulière
celle d'êtres les victimes fières
bien propres sur elles
d'une hydre satanique incalculable
celle d'être les David sûrs de leur noble défaite
contre un invisible et omniprésent Goliath
un inaccessible Moloch
qui concentre et incarne tout le Mal en sa seule entité
et qui de ce fait
épargne toutes ses victimes du Mal
ce dont ces masses bafouées jour après jour
devraient le remercier sans fin
car c'est grâce à lui qu'elles pourront s'enorguillir à jamais
de leur admirable pureté de leur innocence
Mais ce n'est pas dire encore grand chose
seriner que les Tyrans obèses doivent faire place nette
souligner encore et encore leur voracité
que le peuple ne tient plus sous ce joug obscène
ce qu'il convient de dire c'est la Vérité
Vérité qui est d'une écoeurante, d'une coupable simplicité
Tous ces dignitaires de l'Etat, ces chefs vautrés dans leurs palais
ces réprésentants du peuple dévoyés
ces intouchables crapules
ne sont rien de plus
Que les fruits qu'a donné l'Arbre de notre nation
Ils en sont même,
(s'il faut croire cette légende selon laquelle
la nation engendre son meillleur pour être gouverné par lui)
l'élite fruitière , la plus fine drupe produite par lui
celle qui le représente, lui donne sa noblesse et le gouverne
et pour laquelle le meilleur de la sève fut alloué.
Or donc s'il faut que les citoyens
- racines, branches feuillage et tronc de l'Arbre -
constatent avec forces preuves
que la drupe glorieuse
n'est plus que pourriture
vertu véreuse
que les fibres de droiture
en honorant la pulpe
y ont été toutes mangées
c'est par conséquent bien
que l'Arbre qui les a produit était amplement pourri
depuis longtemps déjà
et qu'il n'était prêt qu'à nous donner ces fruits mauvais
car ainsi que le disait le roi des philosophes
Jesus
dont les paraboles et le sort disent assez
la sagesse supérieure et l'amour fou de l'homme
amour et sagesse auprès dequelles mes
mes chers doux concitoyens me semblent
bien chétifs, veules et mesquins soudainement
"Il n'y a pas de bon arbre qui produise un fruit pourri,
ni d'arbre malade qui produise un beau fruit
Car chaque arbre se connaît à son propre fruit"
De la plus profonde des racines aux plus hautes frondaisons
notre Arbre était travaillé depuis des lustres par mille champignons funestes
mille champignons qui étaient en chacun de nous
et que nous n'avons pas su extirper
leur concédant ainsi le chef de notre arbre
alors que faire maintenant ?
Vous frères humains agglutinés dans votre indignation
irez vous jusqu'au bout de la vertigineuse honnêteté
abattriez vous votre propre demeure d'une hache sainte et résignée ?
aurez vous le pieux courage de l'aller déraciner
et de reconnaitre ainsi toute votre pourriture ?
Accordez moi je vous prie de regagner
mon moelleux trou de solitude